Billet d'humeur de la semaine - Lundi 20 Novembre 2023
Huit ans après le suicide du Pr Jean-Louis Mégnien par défenestration dans son hôpital, le tribunal correctionnel de Paris a condamné l’AP-HP, l’ancienne directrice et trois médecins pour harcèlement moral. Les attendus sont éclairants et démontent complètement la défense : le harcèlement « correspond bien à un processus objectif qui s’est enraciné de fin 2013 au 17 décembre 2015 dans des actes objectifs. »
Si nous pouvons nous féliciter de cette décision, elle intervient comme trop souvent avec la justice française après un bien trop long délai pour d’une part obtenir une réparation pour la famille mais aussi pour que de tels faits ne se reproduisent pas. Or, c’est là que le bât blesse car un autre drame est survenu le 3 février 2019 dans mon hôpital avec le suicide sur son lieu de travail d’un autre médecin dans un contexte similaire.
sans aucune honte, l’AP-HP a décidé de faire appel de la décision
L’autre scandale est le déni persistant des acteurs et surtout de l’institution car, sans aucune honte, l’AP-HP a décidé de faire appel de la décision. Ce refus de reconnaître une gestion administrative et médicale inadaptée et trop souvent harceleuse, se traduit également par le fait que les personnes condamnées ou mises en examen sont toujours en poste et assurent des missions d’encadrement du personnel avec le risque de la poursuite de comportements dangereux.
La dérive de l’hôpital est tout à fait similaire à celle qu’a connue France Télécom avec les mêmes conséquences. Au tournant de la fin du siècle dernier, nous sommes passés d’une logique de service public à celle d’une entreprise avec les logiques financières qui visent à réduire les coûts de personnels à tout prix en exerçant une pression visant à améliorer ce qu’ils appellent la productivité.
Nous avons assisté alors à une transformation des comportements d’un bon nombre de directeurs, assistés par un certain nombre de médecins placés à leur côté dans des fonctions de pouvoir. Fini les valeurs d’empathie, d’humanisme et de bienveillance qui sont des fondements de la médecine. Elles ont été remplacées par la tarification à l’activité, les groupes homogènes de malades, l’état prévisionnel des recettes et des dépenses, etc. traduits en acronymes déshumanisés T2A, GHM, EPRD !
Autre exemple de ces dérives, les formations proposées dans les écoles de commerce aux médecins devant prendre leurs fonctions de chefs de pôle avec un module au titre emblématique : « Comment se débarrasser des gêneurs ».
Cela est intolérable
Les soignants ont pour mission de soulager les souffrances des patients et ils ne peuvent le faire quand eux-mêmes subissent des conditions de travail qui les plongent dans un enfer qui malheureusement aboutit dans certains cas à des gestes sans retour.
Car, il faut bien insister qu’au-delà du cas ces deux professeurs qui sont médiatisés, ces dérives sont à l’origine d’autres drames qui ont touché toutes les catégories de personnels de l’hôpital, de l’infirmière, au personnel administratif et technique.
Alors j’espère qu’en appel la peine sera aggravée pour que ce management mortifère cesse enfin à l’hôpital.
Dr Christophe Prudhomme